Onirophage

Dis-moi, Humain, que sais-tu de tes rêves? 

Que sais-tu de cette vie parallèle que tu mènes lorsque tu relâches les rênes de ce contrôle que tu maintiens si fièrement sur le monde qui t’entoure? Que sais-tu de la force vitale créatrice que tu y projettes, et de la faune étrange qui se nourrit de ce gaspillage scandaleux? Que sais-tu du Peuple des Ombres, qui t’observe en silence pour mieux parasiter tes pensées et y prendre racine? 

Bien peu, sans doutes. Il n’est pas facile de nous voir, et encore moins de nous comprendre. Remercie ta chance, Humain: il n’est pas donné à tous de nous rencontrer aussi directement. Encore que ce ne soit pas nécessairement une bonne chose pour ta sanité d’esprit… Je m’en moque, cela dit. Tu ne m’es utile que tant que ton esprit parvient à me nourrir. Pour le meilleur ou pour le pire, il se trouve que j’apprécie le goût de ta peur, Mortel. Je prendrai donc grand soin de toi, et ne te laisserai sombrer dans la folie que très lentement. Sois sans crainte: je savourerai chacune de tes sueurs froides, et me délecterai des palpitations erratiques de ton cœur angoissé pendant encore longtemps. Que de délices en perspective! 

Qui je suis? Oh, cela n’a pas d’importance, en bout de ligne. Je suis une Ombre, une volute de fumée en attente de tes soupirs, un tissage d’illusions blotti dans le confort de ton ignorance. J’habite les torsions de l’univers, entre la matière et l’intangible. Je suis comme le brouillard: des milliers de particules en suspension, assemblées en un tout plus grand que nature. Je n’ai ni forme, ni logique. Je suis l’Inconcevable, qui se greffe à la moelle de ton âme pour en sucer le fruit. Je suis un fractal incompréhensible fait de mille nuances noires qui te collent à la peau. 

Ne l’as-tu pas déjà compris, pauvre loque? Je suis un Prédateur. Je m’éveille chaque soir, au moment même où tu fermes les yeux. Je me glisse alors dans ton esprit ensommeillé pour y infecter chacun de tes songes. Que veux-tu? Ta raison me rejette, je dois bien en profiter! Je me nourris ainsi de toi depuis toujours. Ton imagination fertile s’est jusqu’à maintenant assurée que je ne me lasse jamais du goût de tes idées. Leur valse effrénée dans tes rêves est un délice addictif, une drogue insoupçonnée pour la bête que je suis. Chaque image que tu inventes me transforme, me fais grandir, me réinvente. Je suis, grâce à toi, en constante évolution, et par le fait même, indestructible! 

Tes rêves oubliés sont une bénédiction, les autres sont mon refuge. J’y vis, y grandis et m’y propage, influençant ensuite tout de ta vie. Chaque pensée qui te ramène vers les souvenirs de ta vie nocturne me nourris un peu plus. Oui, tu as bien compris: les seuls rêves qui t’appartiennent encore sont ceux que tu oublies, le matin venu. J’aurai absorbé tous les autres. Ce qui te reste, ce sont mes propres souvenirs, comme le reflet tordu de ce que tu as imaginé. Ces reliques sont mon domaine, où je règne en roi et maître!

Aussi précieux que tu puisse être à mes yeux, tu n’es qu’un esclave parmi tant d’autres, aussi ignorant que servile. 

Mais au matin, tu oublieras… 

Enfin…peut-être! Ce rêve m’appartient, après tout. Préféreras-tu l’occulter lui aussi? L’entreprise représenterais un effort impressionnant, mais le jeu pourrait en valoir la chandelle: parviendrais-tu à te préserver toi-même de la folie, sinon? Haha! Voilà une expérience intéressante. Quoi qu’il en advienne, les prochains jours seront tortueusement délicieux…

Un commentaire sur “Onirophage

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