Quel dommage d’avoir à te réveiller, voyageur : ton visage endormi est si paisible. Crois-moi : j’en ai vu plusieurs, passant par toutes les expressions possibles. Je suis celle qui éveille le monde au printemps, après tout. Tu as déjà rencontré les jumelles, n’est-ce pas ? Es-tu réellement alors surpris de ma visite ? Tu l’auras deviné : je suis Callia, la Dame Verte. On m’appelle la Reine des Fleurs, et la Muse des Mots. Je suis l’Alchimiste et l’Inspiration avec un grand »i ». Tous ces titres me conviennent, mais appelle-moi simplement Callia, lors de tes visites chez moi. Viens, que je te montre la Vie en ces bois. Approches, que je te fasse visiter mon laboratoire…
Oui, étranger. Tu as bien entendu : mon laboratoire. Car les rumeurs sont vraies : je cherche effectivement un moyen de réveiller ma sœur Saria, comme je réveille les reines-abeilles, au printemps. Je m’y emploie chaque année sans relâche, pendant le court laps de temps qui m’est alloué. La tâche est complexe, mais j’y parviendrai, voyageur. Je le jure sur mon nom, sur ma vie, même. Entre temps, je peaufine mon art. J’apprends à connaître chaque particule de vie sur Samaria. Je cherche la clé du mystère. Rares sont ceux qui croient en mon succès. La plupart de tes semblables me voient comme une enfant naïve et immature… Et pourtant ! Même en mettant bout-à-bout touts les années de vie de tous ces prétentieux, l’ensemble ne correspondrait au mieux qu’à une poignée de secondes en comparaison à ma propre vie. J’ai vu et vécu des choses que l’esprit humain ne peut même pas s’imaginer. J’ai vu la mort rôder plus souvent que bien des gens. Je l’ai vue à l’œuvre. J’ai compris il y a longtemps déjà que je n’arriverais jamais à lui arracher Saria si je n’acceptais pas de travailler avec elle, parfois.
Je te surprends, étranger ? C’est pourtant évident : je ne l’ai jamais caché. Dis-moi : qui choisi ceux qui se réveillent de leur hibernation, au printemps ? Qui décide lesquels resteront endormis trop longtemps pour avoir une chance d’ouvrir à nouveau les yeux ? Je vois que tu commences à comprendre, c’est bien. Je vois pourquoi mes sœurs s’intéressaient à toi de si près… Avec toi dans les parages, le futur proche risque d’être intéressant. J’ai bien hâte de voir. Quoi qu’il advienne, ça me fera toujours un peu de compagnie. À la longue, les jours semblent devenir interminables, lorsqu’on les passe seul avec ses pensées. Le peu de compagnie que j’ai me vient des animaux que je réveille pendant mon règne. J’ai beau l’apprécier, ce n’est pas exactement passionnant, comme conversation, en général. Par ailleurs, avec mes recherches pour Saria… Ahem… Enfin, j’ai parfois besoin de cobayes, tu comprends, n’est-ce pas ? Oh, je ne le fais jamais de gaieté de cœur ! D’autant plus que, pour que l’essais soit significatif, le lien doit être fort. Je perds donc chaque fois un compagnon loyal et précieux… Mais le Voile est une frontière si difficile à traverser ! Mes seules consolations sont les messages qu’ils m’envoient, et qui m’aident dans ma quête. Je sais alors que mes efforts ne sont pas complètement vains. Et puis, ils me confirment que Saria prend bien soin d’eux. Pas que j’en aurais douté, mais avoir la confirmation à travers leurs messages qu’elle est bien là, fidèle à elle-même, j’y trouve un certain réconfort.
Cela m’encourage aussi de penser que, d’une certaine façon, je travaille en équipe avec ma sœur disparue, même si je ne peux plus la voir. Car, si Saria est la gardienne de ceux qui sont partis, je suis celle qui veille sur leur arrivée et leur départ. À nous deux, nous formons un cycle. Quelque chose d’incassable. Et c’est comme ça qu’elle parvient à rester si près de mon cœur, tout en étant hors de portée.
Enfin, l’heure avance, voyageur. Tu devras bientôt retourner vers les tiens. Ce rêve touche à sa fin. Oh ! Nous nous reverrons, voyageur ! Mes sœurs te l’ont déjà dit, n’est-ce pas ? D’ici là, si tu veux me transmettre un message, glisse-le à l’oreille d’un animal, n’importe lequel. Il saura me le remettre. Comment fera-t-il ? Ah ! Ça, c’est notre secret ! Allez, ne fais pas cette tête-là, je te l’expliquerai probablement un jour, quand nous aurons davantage de temps. Vas, maintenant. Rendors-toi : je veillerai à ce que tu ouvres les yeux sain et sauf parmi les tiens. Bon voyage, étranger, et à bientôt !