Bonsoir voyageur ! Tu te rappelles de nous ? Nous sommes les Jumelles d’Hivers, celles qui règnent sur la neige et le froid. Notre histoire t’a plu, voyageur ? Tes semblables semblent prendre plaisir à inventer des légendes à notre sujet. Qu’elles soient vraies ou non, ces histoires prennent vie, et modifient notre existence, à nous qui vivons en dehors du temps. Viens avec nous, voyageur. Le temps d’un rêve, laisse-toi guider vers ce lieu dans les astres que nous appelons chez nous. Cet endroit, c’est notre maison de givre, où la méchanceté du monde ne peut nous atteindre. Peu de gens l’ont visité avant toi, tu sais ? Nous ne faisons pas cet honneur à n’importe qui. Viens, suis nous, étranger. Notre palais de glace t’ouvre ses portes. Viens profiter des arcs-en-ciel de ses vitraux de givre, pendant que nous te parlerons de nous. Tu sauras garder nos secrets, n’est-ce pas, voyageur ? Tu ne les raconteras que sous forme d’histoires, de légendes, de rumeurs éthérées qui alimenteront l’imaginaire de tes semblables. Pourquoi te faire un tel cadeau ? C’est pourtant simple, voyageur : en te transmettant notre histoire, en te la confiant, tu la garderas vivante et intacte, pour que notre mémoire survive aux années, et que nous restions telles que nous le sommes encore. Ce n’est pas un geste complètement désintéressé de notre part. Alors, acceptes-tu notre offre ? Parleras-tu de nous à ceux que tu rencontreras à l’avenir, pour que notre mission de veiller sur Samaria puisse suivre son cours ? Bien. Nous t’en sommes reconnaissantes, voyageur.
Laisses-moi d’abords te parler de ma jeune sœur, étranger. On la surnomme la Dame Bleue, la Jumelle de Glace. Ce brave Ahmar te l’as dit : elle est sensible et spontanée. Ses émotions débordent aussi facilement qu’un ruisseau au printemps, aussi frustrant que cela puisse être. Mais c’est aussi précisément ce qui fait d’elle une artiste accomplie. C’est elle qui s’évertue à créer ce décor changeant dans lequel nous vivons. C’est elle qui agence ces perles de givre facettées qui font briller nos murs de mille feux. Elle est la Demoiselle Artiste, la Muse des Couleurs. Sans le savoir, tous ceux qui créent la beauté perceptible par les yeux lui rendent hommage. Elle est le prisme qui diffuse l’arc-en-ciel, et le chaos créateur d’où sors la vie. Ses créations sont magnifiques, mais elles ont un prix : Hellia ne connaît jamais le calme. Ma pauvre sœur doit composer à tout moment avec le tumulte des idées qui se bousculent dans sa tête, et les émotions qu’elles contiennent. Sa puissance créatrice fait d’elle un vecteur, un intermédiaire entre ce qui est et ce qui sera. Tout ce qu’elle voit, elle le ressent et le transforme. Le moindre vent devient tempête, le moindre flocon de neige en engendre des milliers d’autres. Elle incarne la magnifique tourmente de l’univers, de laquelle jaillissent les idées. Alors oui, lorsque vient son tour de régner sur le ciel de Samaria, elle recouvre le monde d’un canevas vierge sur lequel elle pourra peindre à sa guise pour les quelques Sextants à venir. Vois-tu, voyageur, Hellia n’est pas très sociable. Ce n’est pas qu’elle n’apprécie pas la compagnie des gens, mais son empathie débordante la rend fragile à leurs emportements émotionnels. Elle préfère donc le calme…qu’elle s’entête à rompre avec style et panache partout où elle va. Elle m’exaspère, oui, mais de la plus attendrissante des façons. Je n’échangerais sa présence à mes côtés pour rien au monde, même si cela me force à composer avec un manque de paix presque permanent…
Pardonnes ce vent étranger, n’y prêtes pas attention. Je n’ai simplement pas l’habitude d’entendre ma sœur parler de moi en des termes aussi élogieux. Oh, je sais qu’au fond, elle m’aime bien, là n’est pas la question ! Mais Sophia est habituellement l’incarnation même de l’introspection. Son nom est un mantra, synonyme de méditation et de calme. Rien à voir avec le tourbillon émotif qui m’emporte à toute heure du jour… Sais-tu que la neige est un isolant, voyageur ? Aussi étrange que cela puisse paraître, un mur de neige coupe aussi bien le froid que le son. C’est probablement pour cela qu’on l’appelle la Jumelle de Neige. Bon, c’est peut-être aussi à cause de sa lumière immaculée, mais comme on l’appelle déjà par ailleurs la Dame Blanche, je trouve ma version plus originale. Car, soyons francs, étranger : pour méditer alors que je me trouve dans les parages, il faut une concentration incroyable ! Sophia est aussi la plus philosophe, et la plus spirituelle d’entre nous, tu sais ? On raconte que ce qu’elle cherche à accomplir à travers ses nombreuses méditations est de trouver un sens à la vie. Rien que ça ! Comme si créer n’était pas une réponse suffisante… Enfin, ressentir est important aussi, mais ce n’est qu’une partie du processus créatif, n’est-ce pas, étranger ? Oh, ça y est, je m’emporte à nouveau…attends, je vais utiliser ces grêlons pour nous faire une guirlande, au plafond. Avec la lumière extérieure, ça nous fera un kaléidoscope du plus bel effet ! Et voilà ! Tu aimes ? Oui, je suis d’accord : il manque quelque chose…mais quoi ? Hum… Oui, j’aime l’idée. Un lustre central ajouterait beaucoup à l’ensemble, et ferait briller les vitraux pour les mettre en valeur. Parfait, je m’y mets de ce pas. Quoi ? Oh, bien sûr. Il serait mieux de d’abord dire au revoir à notre invité, mais…enfin, j’aurais aimé lui montrer le résultat. C’est son idée après tout… Mais bien sûr que je me dépêche, pour qui me prends-tu ? Pars devant, je vous rattrape. L’effet d’ensemble sera plus visible de l’entrée, de toute façon…
Voilà, étranger : le rêve s’achève. As-tu apprécié ton passage en nos murs ? Nous l’espérons. Ne t’en fais pas : ce n’est qu’un au revoir. Nous ne sommes pas friandes des adieux. Nous nous reverrons, étranger. Tous les soirs, s’il le faut. Tu n’auras qu’à lever les yeux vers nous pour savoir que nous ne te quitterons plus. Vas, parcours ce monde. Racontes notre histoire. Laisses tes mots créer pour nous une réalité magnifique, étincelante, à la hauteur de ce lieu où nous vivons, et que nous avons partagé avec toi. Nous avons foi en tes mots, voyageur. Soigne-les bien, et ils deviendront à la fois écrin et parure, comme un bijou précieux que nous porterons sur notre cœur pour toujours. Vas, retournes vers les tiens : l’éveil t’appelle. Le soleil pointe à l’horizon, déjà. Allez, ne traînes pas. Il n’y a aucune inquiétude à y avoir : tu sais très bien où nous trouver. À bientôt, étranger…